Ayant beaucoup de temps de disponible, ce printemps, je me suis amusée à faire germer les pépins de tous les fruits qui me tombaient sous la main: pomme, pamplemousse, citron, kiwi. Ça passe le temps, ça coûte trois fois rien et ça fait des belles plantes d’intérieures, pour autant qu’on en prenne soin un minimum.
Bébé C. paradisi
En plus, c’est tellement simple à faire! Il suffit de retirer des fruits les pépins les plus dodus, les mettre dans un milieu humide à l’abri de la lumière et attendre que la germination ait lieu. Parfois, il faut être patient… Par exemple, il a fallu près de 4 semaines pour que les pépins de citron et de pamplemousse montrent un début de croissance racinaire! Ensuite, « hop », on transfère nos petits plants dans un pot de terre, on les arrose régulièrement (attention de ne pas les noyer) et on les regarde grandir! N’est-ce pas merveilleux?
Évidemment quand on est biologiste, on observe la croissance de nos petits protégés d’une façon un peu particulière… C’est ainsi que, lorsque les pépins de pamplemousse ont finalement germé, je me suis aperçu que certaines plantules avaient 2 racines!
Graine polyembryonique de C. paradisi
Étrange ce truc, la plupart des graines que j’ai fait germer par le passé avaient une seule racine principale qui se subdivisait ensuite. Enfin, je n’allais quand même pas disséquer mes protégés pour satisfaire ma curiosité de biologiste! Le but de ma démarche étant d’abord et avant tout d’avoir un petit jardin d’arbres fruitiers en pots pour égayer mon appartement. Ainsi, j’ai décidé de semer mes étranges plantules dans des petits pots de terre et d’attendre que mes petits se montrent le bout des feuilles. Quelques jours plus tard, j’ai ainsi pu constater que ces plantules à « 2 racines » étaient en fait 2 plantules distinctes s’étant développées à partir d’un même pépin!
2 jeunes plants de C. paradisi provenant du même pépin
Je n’avais jamais vu cela! En général, j’observe ceci: « 1 pépin = 1 plante ». En tout cas, c’est ce que j’observe chaque année quand je fais germer dans mon potager mes graines de basilic, tomate, courgette, brocoli, oignon, piment, pois mange-tout et haricot. Jamais je n’avais vu la situation suivante: « 1 pépin = 2 plantes »!
Déformation professionnelle oblige, je devais trouver une explication à ce phénomène. J’ai donc entrepris une petite recherche sur le web. Première difficulté: déterminer le nom exact de l’espèce que j’avais fait pousser. Car, voyez-vous, ce qu’on appelle dans le langage courant « pamplemousse » devrait plutôt être appelé « pomélo »! Les deux noms désignent des agrumes très différents. Fait intéressant à noter, le premier naturaliste européen à avoir décrit le pomélo est le Révérend Griffith Hughes en 1750, appelait le pomélo le « fruit défendu », cette appellation auraient été donnée par ceux qui étaient à la recherche de l’arbre d’origine du bien et du mal dans le Jardin d’Eden (Quinion, 2003). Moi qui croyais que c’était un pommier!?! Il semblerait que l’histoire soit un peu plus compliquée, encore une fois…
Une fois le bon nom vernaculaire en main, il fallait maintenant trouver le nom scientifique de l’espèce dont le développement m’intriguait. Information plus facile à trouver cette fois et que j’ai pu rapidement confirmer sur SITI. Mais, oh! surprise, le pomélo (Citrus paradisi) ne serait pas vraiment une espèce au sens biologique du terme… ce serait plutôt un hybride! Selon toute vraisemblance, C. paradisi serait issu du croisement spontané entre un oranger (Citrus sinensis) et un vrai pamplemoussier (Citrus maxima) (Khan, 2007). Selon Talon et al. (2008) les « espèces » appartenant au genre Citrus sont étroitement apparentées et réussissent même, à différents degrés, à se reproduire entre-elles.
Pamplemousse (C. maxima) et pomélo (C. paradisi)
Une fois les problèmes de nomenclature réglés (du moins élucidés), j’ai pu m’attaquer à mon problème initial: comment un pépin peut engendrer 2 plantes? Il semblerait que C. paradisi, comme plusieurs espèces d’agrumes commerciales produisent par apomixie des pépins qui soient polyembryoniques (Talon et al., 2008)!?! Pas de panique! Ces « horribles » mots scientifiques cachent des définitions bien simples. D’abord, la polyembryonie c’est simplement la formation de plusieurs individus suite à la division d’une seule cellule (comme dans le cas des jumeaux identiques). Ensuite, l’apomixie est un mode de reproduction asexuée qui permet à une plante de produire des graines sans que les fleurs n’aient été pollinisées ou fécondées (fusion du bagage génétique d’un ovule et celui d’un grain de pollen) (Campbell et Reece, 2007). Les graines contiennent alors un ou des embryons qui sont, ni plus ni moins, que des clones de la plante mère (Koltunow et al., 1996). Selon Talon et al. (2008), les embryons du genre Citrus produits par apomixie se développent avant même l’ouverture des fleurs et leur maturation se poursuit après que la pollinisation de la fleur ait eu lieu. Donc il y a pollinisation, mais pas nécessairement fécondation! Néanmoins il semblerait que la fécondation ait parfois lieu, mais comme les embryons qui sont des clones de leur mère sont beaucoup plus vigoureux que les embryons issus de la reproduction sexuée, ces derniers sont beaucoup moins nombreux (Talon et al., 2008).
Finalement, c’est plutôt de bonnes nouvelles pour moi, puisque si mes petites plantules sont identiques à leur mère, elles devraient elles aussi produire de beaux et bons gros fruits d’ici quelques années (7 à 10 ans)! Cependant, il faudra prévoir de gros pots pour mes petits, car en nature ces arbres peuvent atteindre une hauteur de 10 m (Page, 2008). En attendant que le réchauffement climatique n’ait substantiellement adouci nos hivers, il faudra donc limiter la croissance de mes arbres pour qu’ils puissent rester dans mon appartement!
C. paradisi mature
Voici quelques liens intéressants pour ceux et celles qui souhaiteraient cultiver des agrumes en pots:
Références: